Angleterre – 1929 - 84' - Avec Anny Ondra, John Longden
« C'était une histoire assez simple, probablement, je me servais de la forme du Lodger; je montrais dans la première bobine la technique d'une arrestation » (à François Truffaut lors des entretiens de 1966)
Résumé
Avec Chantage, Hitchcock met en scène l'histoire d'Alice White et Franck Weber, un jeune couple tonique, promis à une belle histoire. Mais rapidement, la légèreté coupable de la femme provoque un événement terrible, que les deux jeunes gens, soumis à un affreux chantage, vont décider de partager dans le plus grand secret...
Bande Annonce Originale
Le Film
Dans cette adaptation d'une pièce de Charles Bennett, Hitchcock, à travers l'implacable traitement cinématographique qu'il met en place, évoque la fascinante question du secret qui peut amener un couple à fusionner, non par une amoureuse complicité, mais plutôt dans une complicité au strict sens policier du terme.
La virtuosité de la mise en scène fait apparaître la froide et de plus en pesante logique qui fait s'enchainer les évènements :
- par le jeu du montage, de l'utilisation des gros plans, des mouvements de la caméra, Hitchcock, dès la scène d'ouverture, nous fait partager (sans l'apport du moindre carton explicatif) l'épaisse sensation de la traque, (dont on ressent d'ailleurs la tension nerveuse aussi bien côté des policiers que côté du malfrat : le spectateur se sent tour à tour chasseur et gibier)
- la scène du crime, tournée dans un long plan-séquence, nous inquiète non par ce qu'elle montre mais plutôt par ce qu'elle révèle en ne le montrant pas : l'instant où une vie bascule dans l'ombre, après un jeu qui aurait pu demeurer dans la simple frivolité.
- Le montage parallèle final, entre la poursuite dans le (faux et magnifiquement reconstitué) British Museum et les plans d'Alice, rend presque palpable la culpabilité de la jeune femme, qui est inéluctablement associée par ce procédé cinématographique à la terreur du fuyard.
Dans ce film, Hitchcock est d'ailleurs magnifiquement servi par l'actrice tchèque Anny Ondra, dont la pétulance me fait penser à une flapper (blonde), - les flappers étaient ces jeunes femmes modernes des années 20 dont les représentantes les plus célèbres au cinéma furent les érotiques actrices (brunes) Louise Brooks ou Clara Bow -. Cette deuxième collaboration du réalisateur et de l'actrice (après the Manxman, réalisé juste avant) n'est pas pour rien dans l’envoûtante progression de la situation, qui évolue d'une piquante légèreté à l'atmosphère la plus sombre.
Dernier tour de force, et non des moindres, Chantage, (tourné en 1929, année charnière entre cinéma muet et sonore) soutient l'incroyable gageure d'être à la fois le dernier film muet et le premier film parlant du réalisateur. En effet, Hitchcock fait preuve sur ce projet d'une clairvoyance peu commune : à peine le film commencé, il se doute qu'il va devoir en réaliser une seconde version, sonore celle-ci. Fort de cette intuition, il ne se contente pas de simplement "assurer le coup", mais grâce à une méthode de tournage originale et parfaitement maîtrisée, il réalise deux oeuvres parfaitement achevées, sur le même sujet, avec les mêmes acteurs. Les plans qu'il tourne une deuxième fois pour la version sonore contiennent de bluffantes trouvailles sonores : autour de l'arme du crime par exemple, ou de la découverte de la victime. Et ces trouvailles n'entament en rien la qualité de la version muette. (Je ne peux d'ailleurs pas m'empêcher de souligner qu'une des différences entre les deux versions consiste en la présence ou l'absence d'un piano de concert, comme complice du crime...
Ne nous privons donc surtout pas de savourer les deux versions de ce beau film !
Jacques Cambra