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mardi 13 septembre 2011

Metropolis, lumière sur l'obscurité


Film muet de Fritz Lang 
(Allemagne - 1927 - 2h30)
avec Alfred Abel (Joh fredersen), Brigitte Helm (Maria), Rudolph Klein-Rogge (Rottwang)

Critique du film et chronique ciné concert* par 

Metropolis, Maria-Robot / Photo MK2

Une touche de blanc, une autre de noir ; entre clair et obscur. Une part de théâtre fondue dans un film ; des décors monumentaux qui mettent en place une oeuvre unique... On se laisse convertir au culte expressionniste.

Voici donc Metropolis. Sommet du cinéma allemand qui suivit la Première Guerre Mondiale. Critique de la société mêlée à celle du pouvoir. Mélange extravagant de styles qui choquent et qui provoquent l'angoisse. Constante exagération des sentiments ancrés dans les mythes classiques. Vague de folie qui s'abat sur les personnages. Jeu de doubles, jeu de miroirs et d'ombres, sans lesquels l'expressionnisme allemand n'est pas l'expressionnisme allemand.


Metropolis, Freder Fredersen / Photo MK2
Mais le chef-d'oeuvre de Fritz Lang est d'une beauté atemporelle. A Metropolis, on pleure, on a peur, on rit, sans trop se poser de questions... Sauf une, peut-être, qui flotte incessamment en notre esprit : l'Homme peut-il vivre en harmonie avec les machines, ses propres créations ? Chacun trouve sa propre réponse ou laisse la question en suspens.

Metropolis est un film où l'on peut garder les yeux grands ouverts du début à la fin, un film où le mot "ennui" ne s'imprime jamais en notre esprit. On plonge au plus profond des souterrains d'une ville, des souterrains recelant des mystères et annonçant des orages... Et le récit, à notre époque, nous paraît bien amer...
Car s'annonce en ce film la mise en place inquiétante des régimes totalitaires avec un homme auquel on confie le pouvoir et qui chamboule la vie de la cité.

Massacré, censuré et rejeté dans sa version initiale, le film n'a retrouvé que depuis peu sa version complète de  deux heures et demi. celle que nous avons la chance de retrouver aujourd'hui et qui regagne vingt-cinq minutes cruciales de plans incroyables. On se plait à redécouvrir une époque où la caméra était fixe et où les plans contenaient des trésors merveilleux ; il en va de même de la musique de Jacques Cambra, évidemment imprévisible et inédite. Au vu de la durée du film, on ne peut que s'étonner de son choix pour un ciné concert... On ne peut que deviner une création qui poursuivra le film comme une ombre, une création qui déroutera.

Metropolis, Maria : Photo MK2
Et de fait ! C'est un merveilleux exploit que nous propose Jacques Cambra qui accompagne les images et crée une musique haletante tout le long du film. Le musicien tient les deux heures et demie sans aucune pause ; on pourrait presque croire qu'il ne respire pas... On se rassure pourtant de temps en temps en jetant un coup d'oeil à l'artiste et à ses doigts qui glissent sur les touches du piano. Qui plaque avec force ses accords sur le clavier quand l'action est à son sommet. Et qui, délicatement parfois, célèbre en quelques notes le retour de l'harmonie pendant que Maria retrouve l'homme qu'elle chérit.
On en ressort du spectacle le mot "merci" aux lèvres

*ciné concert du 6 juillet 2011 au festival international du film de La Rochelle, journées ADRC


Contrat Creative Commons
Ce(tte) oeuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 2.0 France.

jeudi 28 juillet 2011

The Kid Brother, film muet en ciné concert

par Jacques Cambra

Ciné concert le 11 août 2011 au Pestel de Die (26)
Accompagnement musical en petite formation
Dans le cadre de la RESIDENCE AU CINEMA LE PESTEL DE DIE (26)
Tous les renseignements sur L'AGENDA (voir au 11 août)

The Kid Brother : photo Carlotta films
The Kid Brother, de Ted Wilde et Harold Lloyd 
(USA - 1927 - 1h20 - Muet - Noir & Blanc) avec Harold Lloyd, Jobyna Ralston


Résumé du film : 
Harold est le petit dernier de la famille Hickory, entouré de deux solides grands frères. Régnant sans partage sur la famille, le père, shérif respecté de la bourgade de Hickoryville, est admiré de tous les habitants, (à commencer par Harold), pour  sa force, sa détermination, son honnêteté proverbiale : une véritable légende vivante !
Suite à une énième déception quand à sa place parmi les hommes de la famille, Harold, voulant jouer au grand, dérobe l'étoile de son père. Il est alors pris par erreur pour l'autorité suprême de la ville par deux marchands ambulants assez douteux. Le regard de la splendide jeune fille qui les accompagne (Jobyna Ralston) le persuade de jouer à fond la carte de la virilité, et il signe un permis de séjour aux deux malandrins venus présenter leur spectacle...

La suite est en cours de rédaction...

Jobyna Ralston, la troisième partenaire d'Harold Lloyd
après Bébé Daniels et Mildred Davis
Photo : Carlotta films



jeudi 14 juillet 2011

Ozu : Gosses de Tokyo (Film muet en Ciné Concert)

par Jacques Cambra

Ciné Concerts les 7 mars à Douai, 8 mars à Arras, 9 mars à Berck-sur-Mer, 10 mars à St-Pol-Ternoise,
13 mai à Livry-Gargan (en duo avec Hiroko Sugiura, flûte)
Prochaine date : 4 août à Die
accompagnement en petite formation
dans le cadre de LA RESIDENCE AU PESTEL DE DIE -26150
Tous les renseignements sur l'agenda (voir au 4 août)

Gosses de Tokyo de Yasujiô Ozu / Photo : Carlotta films
Tokkan Kozzo est Keiji (le fils cadet)
Hideo Sugawara est Roïchi (le fils ainé)
Tatsuo Saito est Yochii (le père) 


Gosses de Tokyo de Yasujirô Ozu 
(Japon - 1932 - 90') avec Hideo Sugawara (Roïchi, le fils ainé), Tokkan Kozo (Keiji, le fils cadet), Tatsuo Saito (Yochii, le père), Mitsuko Yoshikawa (la mère)...

Résumé du film :
Dans le Japon dépressif des années trente, une famille modèle déménage en banlieue de Tokyo, afin que le père, petit employé, se rapproche des têtes dirigeantes de l'entreprise qui l'emploie. Cette migration n'est pas sans effet sur les deux pétillants enfants, Roïchi l'ainé et Kozo le cadet, qui vont devoir parallèlement à leur père, se confronter à leur nouvel environnement, pas franchement accueillant dans un premier temps.
Malgré son apparent effacement, la mère affectueuse (et finalement omniprésente) permet de préserver la stabilité de cette famille dont les membres, adultes et enfants, sont soumis à la rude épreuve d'un nouveau quotidien à construire...


Gosses de Tokyo - Photo : Carlotta films



Gosses de Tokyo aujourd'hui...
Voir ou revoir Gosses de Tokyo, réalisé en 1932 par un réalisateur de 29 ans ayant déjà 23 films à son actif, amène une certitude : Ozu a réalisé là un chef d'oeuvre universel, que l'on se place d'un point de vue strictement cinématographique, ou que l'on élargisse ce point de vue à l'histoire des arts en général. Nul doute que ce film qui met en scène le quotidien d'une famille modeste aux prises avec son environnement social et culturel, fait partie des oeuvres ayant élevé le cinéma au rang de 7ème art.
Avec Gosses de Tokyo, Ozu nous offre à la fois,

Une peinture réaliste du Japon des années 1930, qui, à cette époque est un savant mélange de traditions séculaires et d'ouverture vers l'occident. Afin de mieux percevoir la valeur documentaire du film, (dont l'action est contemporaine au tournage), il n'est pas inutile de le resituer dans le contexte historique qui a abouti à ce Japon des années 30.
Vivant depuis le XVII ème siècle dans un total isolement diplomatique et fonctionnant selon un système féodal, "l'Empire du soleil levant" est brutalement pris à partie par une escadre américaine en 1853 et 1854, escadre lui sommant d'ouvrir les ports aux navires de commerce américains. Plutôt que se soumettre, le Japon va travailler à sa modernisation à marche forcée et connaître son "ère des Lumières" avec l'accession au trône de l'empereur de 15 ans Mutsuhito en 1867. C'est ainsi que le Japon devient le premier pays industrialisé non occidental (comme s'en apercevront les pays occidentaux lors de la défaite de la flotte russe en 1905). Ajoutons à cela la crise de 1929 et l'on aura une photographie assez précise de l'environnement social dans lequel évoluent les protagonistes de cette histoire.

Une analyse universelle de la place de l'individu dans la société, vue par le prisme de la famille
Comédie initiatique traitant de la transmission parents-enfants, Gosses de Tokyo est un véritable hymne à la tolérance où toute hiérarchie "vieux-jeunes" est absente : les enfants, par leur intransigeance et leur débrouillardise (ils se libèrent ingénieusement du joug du chef de bande qui les domine au début du film), révèlent la médiocrité de la condition des parents. Parallèlement, les parents élaborent un cadre où l'apprentissage de la nécessaire soumission à l'ordre établi n'annule pas la personnalité en construction des enfants ("je serai capitaine dit Ryoïchi", "pourquoi pas général, répond le père"). En mettant en avant le quotidien de ses personnages, Ozu nous renvoie à notre propre quotidien, quelque soit notre époque ou la culture de laquelle nous sommes issus : " Aussi parfaitement japonais soient-ils, les films d'Ozu sont en même temps universels. Je peux y retrouver toutes les familles, en provenance de tous les pays du monde, de même que mes parents, mon frère, et moi-même". Wim Wenders   



Une démonstration virtuose de la capacité du cinéma à atteindre "l'art total" par la puissance expressive du langage qui lui est propre.  
Avec Gosses de Tokyo, Ozu nous démontre de manière éclatante que la seule limite expressive de l'art cinématographique tient non pas au cinéma lui-même mais plutôt aux capacités expressives et techniques du cinéaste. Et en ce qui le concerne, le savoir faire est considérable et au service de l'immense richesse de son univers artistique.
Fortement influencé par le cinéma américain (il n'est pas rare de voir des affiches de films américains dans les décors de ses propres films), Ozu a visiblement réussi à intégrer cette "manière américaine", (théorisée par le soviétique Koulechov notamment), manière utilisant le montage, le gros plan, les plans courts, (scène d'ouverture du film par exemple) afin de dynamiser la narration. Il utilise également avec virtuosité et à propos "l'art de l'allusion rapide" chère à Lubitsch (la personnalité du père est toute entière exprimée en une courte scène où ce dernier fait ses extensions matinales en plein air... la cigarette aux lèvres !). Il se paye même le luxe de se servir à l'intérieur de son film (hommage suprême) , d'une séance de cinéma (organisée par le patron du père) comme élément déclencheur de la crise entre adultes et enfants, crise qui est le sujet central du film.   
Son impeccable direction d'acteurs va permettre à chacun, par la perfection de son jeu (qu'il tienne un rôle principal ou secondaire, qu'il fasse partie du cercle des adultes ou de celui des enfants) de donner vie à un personnage qui va servir d'archétype et faire exister cette société recréée par le réalisateur, société d'où le burlesque des situations issues du quotidien n'a rien à envier au slapstick américain. 

Si comme Victor Hugo, l'on considère que "le relatif est dans la science et le définitif dans l'art", alors Gosses de Tokyo peut être élevé, tout commele corbeau de H.G. Clouzot ou le Tabu de F.W. Murnau comme film définitif, et par là-même, film parfait. 






Contrat Creative Commons


This création is licensed under a Creative Commons Paternité 2.0 France License.

lundi 28 février 2011

Hitchcock : THE LODGER : A Story of The London Fog (Les Cheveux d’or) Film Muet

par Luc Lavacherie

LES DATES : Ciné Concerts les 25 mars 2011 à Châteauroux, le 8 avril 2011 à Selles sur Cher,
le mardi 24 mai à l'Archipel (Paris) (soirée cinéma club des anciens)
Tous les renseignements sur l'agenda



Bande annonce Fos'Note : Texte de Luc Lavacherie, Voix de Yves Jallais, Musique de Jacques Cambra
Photos du film : Carlotta / Photo Jacques Cambra : Régis d'Audeville

un film muet d’Alfred Hitchcock – 1926 – Grande Bretagne – 1h40 - Copie Carlotta Films


avec 
Ivor Novello ( le locataire), Marie Ault (Mrs Bunting – la propriétaire), Arthur Chesney (Mr Bunting – le propriétaire), June (Daisy Bunting – la fille des propriétaires) et Malcom Keen (Joe Betts – policier, fiancé de Daisy).
Scénario : Eliot Stannard et Alfred Hitchcock d’après le roman éponyme de Marie Belloc-Lowndes inspiré du personnage de Jack l’éventreur.


Résumé de l’intrigue : rendez-vous sur la bande-annonce


L’énigme du regard (qui tue)

The Lodger Alfred Hitchcock
Le film commence fort. La séquence d’ouverture installe en quelques plans une éblouissante mécanique dans laquelle il est très difficile de ne pas se laisser emporter. Tout commence par un meurtre qu’Hitchcock choisit de représenter sans montrer les détails de l’acte lui-même mais en se contentant de cadrer le visage horrifié de la victime en gros plan. Narrativement, ceci lui permet bien sûr d’éviter de fournir aux spectateurs des indices visuels concrets sur l’identité du criminel (tous les indices dont nous disposerons nous arriveront par le biais d’une médiation.) Habile façon pour Hitchcock d’aiguiser notre curiosité pour mieux ensuite nous faire suivre les vraies et fausses pistes qu’il aura pour nous préalablement tracées. Bien sûr. Et pourtant, dès cette première image, l’ambition d’Hitchcock semble beaucoup plus perverse encore que celle, presque innocente, consistant à nous embarquer dans les rebondissements d’une histoire policière. Plutôt que de nous laisser dans le rôle confortable du témoin naïf, il s’agira plutôt pour lui de carrément nous impliquer dans cette affaire et ceci, en superposant habilement cette banale histoire de meurtres à une complexe histoire de regards. Jack l’éventreur, d’accord, c’est une histoire palpitante, la mettre en image de façon captivante et originale, c’est bien, mais arriver à y compromettre le regard de chaque spectateur, le rendre complice de tout ce qui s’y trame, c’est encore mieux. Alors comment faire concrètement ? Et bien justement, en filmant d’abord le meurtre comme s’il ne se perpétrait que par la seule puissance du regard de l’assassin. Jamais la victime n’apparaîtra violentée mais sera juste vue et ce regard porté sur elle suffira à signifier sa mort imminente. Or dans la mesure où, ici, le spectateur voit ce que voit l’assassin, il est par cette première image, déjà compromis. Ceci explique pourquoi, bien que sa durée soit assez courte, Hitchcock a beaucoup réfléchi à ce plan1. Il se devait de contenir l’énigme d’un regard qui tue tout ce qu’il désire. Ce que le réalisateur formalise magnifiquement en filmant la victime dans un saisissant effet de contre-jour : tandis que l’écran est nimbé d’une vive lumière faisant scintiller les boucles blondes de la jeune femme, un trou noir vient tacher l’image en son centre (sa bouche hurlante). Comme si l’irradiant regard qui fait briller ses atours de mille feux, la transperçait dans un même élan.

The Lodger Alfred Hitchcock
Cette contamination de l’œil du spectateur par le point de vue de l’assassin vient confirmer ce que le « Vengeur » semble s’acharner à régulièrement rappeler aux londoniens : il n’y a pas de regard pur, pas de regard extérieur à l’action, pas de regard qui, dans la mesure où il désire, ne distorde son objet. C’est là la vraie information de la séquence d’ouverture de The Lodger, le crime visuel considéré comme un péché originel et dont Hitchcock va prendre soin de méticuleusement filmer les différentes étapes de sa propagation auprès de la population. La police arrive d’abord sur les lieux, questionne. Les passants s’échauffent, avancent des hypothèses, dressent un profil probable de l’assassin (grand manteau, chapeau noir, foulard sur le bas du visage, seuls ses yeux sont à découvert : « Le Vengeur » est un regard qui rôde.) Déjà une vieille dame croit reconnaître l’assassin dans le reflet déformé d’une vitrine, mais ce n’est finalement qu’un plaisantin qui s’amuse à le singer. Les gens s’enflamment. Les journalistes font circuler la mauvaise nouvelle : « Murder ! Wet from the press ! ». Les radios prennent le relais : « Murder ! Hot over the aerial ! » Sublime séquence où le regard impur du Vengeur, au fur et à mesure que la presse s’en fait l’écho, semble se disséminer sur la ville en même temps que de prendre forme à la surface visible du film (fameux plan montrant les portes arrières de la fourgonnette d’un quotidien en train de faire sa tournée. Les deux fenêtres ovales situées en haut des portes laissent voir les têtes du conducteur et de son équipier et donnent l’impression de figurer deux yeux.) Derrière l’apparente traque d’un criminel en série, se cache une autre enquête. Celle qu’Hitchcock a engagée pour mettre à jour notre propre désir. On est en 1926 et son cinéma est déjà en train de nous regarder. Le face à face ne fait que commencer…


Une promenade avec Madame Hitchcock


Ivor Novello & June
Quand il débute en 1926 le tournage de The Lodger, Alfred Hitchcock n’a que vingt-six ans. C’est un jeune homme qui, bien que pouvant déjà se prévaloir d’une certaine expérience cinématographique, a encore tout à prouver aux yeux du public et des professionnels du cinéma. Ses deux premières réalisations, The Pleasure Garden (1925) et The Mountain Eagle (1926) furent des échecs commerciaux et si son producteur, Michael Balcon, lui renouvelle sa confiance pour The Lodger, il ne faut pas douter qu’une certaine pression devait peser sur les épaules d’Hitchcock. A ce moment précis de sa carrière, comme le précisent Chabrol et Rohmer dans le livre qu'ils consacrent au maître : « Il s’agit de frapper un grand coup et de montrer qu’ « on » est un Monsieur avec lequel l’industrie doit compter. »2 Ses atouts ? Une vedette de charme dans le rôle titre, en la personne d’Ivor Novello, chanteur très populaire auprès des midinettes de l’époque ; une histoire connue de tous, inspirée des terribles méfaits de Jack L’éventreur et enfin une nouvelle conception de la mise en scène, récemment mûrie lors de son séjour en Allemagne où, sur les plateaux de la U.F.A, il a pu voir travailler Murnau et quelques autres cinéastes expressionnistes.
Aujourd’hui, à nos yeux entachés par une vision plus globale de l’œuvre d’Hitchcock, il peut paraître évident que tous les éléments étaient réunis pour inévitablement donner naissance au premier vrai grand film hitchcockien (ce qui fut le cas). Les producteurs de l’époque, qui n’avaient, eux, et pour cause, pas eu la chance de voir les chefs- d’œuvre que seront par exemple Les 39 marches (1935) ou Une femme disparaît (1938) ne virent pas The Lodger du même œil et se montrèrent d’abord complètement insensibles à la grande virtuosité qu’y déploie Hitchcock3.
Dans un passage significatif de ses fameux entretiens avec François Truffaut, Alfred Hitchcock raconte comment le film une fois terminé fut reçu par les producteurs : « (…) le grand patron est venu au studio pour voir le film. Il est arrivé à deux heures et demie. Mme Hitchcock et moi, nous n’avons pas voulu attendre au studio de connaître le résultat, nous sommes partis dans les rues de Londres et nous avons marché pendant plus d’une heure. Nous espérions que cette promenade aurait une fin heureuse et que tout le monde serait radieux. On m’a dit : « le grand patron trouve lui aussi que le film est lamentable.» Alors ils ont mis le film de côté et ils ont annulé les locations qui avaient été faites sur la réputation de Novello »4


Il y a quelque chose de touchant à entendre cette anecdote de l’artiste qui, alors qu’il vient d’inventer un style de mise en scène qui finira par révolutionner le cinéma, s’éclipse comme un enfant qui viendrait de commettre une grosse bêtise. Cette promenade avec Mme Hitchcock fait d’ailleurs étrangement écho à celle qu’on peut voir dans The Lodger, où, alors que tout semble joué, le locataire et Daisy s’enfuient dans la ville pour se retrouver sur une petite place et aller se réchauffer dans un pub. Elle représente ce moment de calme qui survient parfois au cœur de la tempête et durant lequel on se prend à espérer que tout finira bien. Telle était la situation du jeune Hitchcock au premier tournant de sa carrière, en pleine tempête créative, osant poser les bases d’une nouvelle aventure stylistique, il ne pouvait pour continuer que s’en remettre à la clémence de ses producteurs. On sait comment tout cela finit : « Quelques mois plus tard, ils (les producteurs) ont revu le film et ont voulu faire des changements. J’ai accepté d’en effectuer deux, et dès que le film a été projeté, il a été acclamé et considéré comme le meilleur film britannique réalisé à ce jour. »5 Ce jour-là, un jeune homme, timide en apparence, venait de s’installer au sein dans la grande pension de famille du cinéma anglais et ce, pour un bout de temps, ayant bien compris qu’à l’avenir ses plus grandes idées de mises en scène ne pourront s’imposer qu’à condition d’intégrer ce qui allait devenir le plus grand allié d’Hitchcock : le regard du public.


1 « J’ai pris une plaque de verre. J’ai placé la tête de la fille sur le verre, j’ai étalé ses cheveux jusqu’à ce que cela remplisse le cadre, puis je l’ai éclairée en dessous en sorte qu’on soit frappé par sa blondeur. » Ibid p.33
2 Eric Rohmer et Claude Chabrol, HITCHCOCK, Editions Universitaires, 1957
3 Virtuosité que Rohmer et Chabrol n’hésitent pas à reprocher à Hitchcock qui selon eux : « (…) ne va pas sans un certain cynisme. Elle trahit cet esprit de mystification qu’Hitchcock ne sublimera que beaucoup plus tard, et qui entache certains de ses films anglais. » Ibid p16
4 HITCHCOCK/TRUFFAUT, Ramsay, 1985, p.36
5 Ibid, p.36


Contrat Creative Commons
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jeudi 3 février 2011

Starewitch : Les Fables d'après La Fontaine - (Films muets sonorisés : Hartmann 1932 / Cambra 2010)

Le lion et le Moucheron (France - 1932)
Le lion devenu vieux (France - 1932)
(Musique originale : Hartmann et Devaux - 1932)

Les grenouilles qui demandent un roi (France - 1922)
Le rat de ville et le rat des champs (France - 1926)
La cigale et la fourmi (France - 1927)
(Musique originale : Jacques Cambra - 2010)

Sortie nationale (copies sonorisées) le 9 février 2011
(http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=57112.html)


Je serai pour ma part présent à la séance de 15h15 le samedi 12 février au cinéma Le Balzac : 
http://www.cinemabalzac.com/public/index/index.php

Bande annonce réalisée par François Martin & Béatrice-Léona Martin Starewitch
Musique originale : Jacques Cambra

"Une autre manière de dire"
Existe-t'il plus belles histoires que celles qui, inventées il y a bien longtemps par on ne sait plus qui, rejaillissent à chacune de leur nouvelle adaptation dans l'effrontée permanence de leur actualité ?
Commencées dans le monde des anciens, renouvelées par Esope le grec, Phèdre le romain ou La Fontaine le français, (et bien d'autres, moins amoureusement servis par la postérité), elles nous parlent d'amitiés improbables et pourtant indestructibles (le rat de ville et le rat des champs). Elles nous racontent aussi la dramatique incompréhension entre des êtres aux univers trop différents, et dont la punition consiste finalement en une cohabitation obligée, jusqu'à ce que mort s'ensuive... (la cigale et la fourmi). Elles mettent des mots et des images sur l'incommensurable, l'insurpassable, l'étourdissante bêtise, dont les sommets (paraissant pourtant hors de notre portée) sont victimes de nos récurrents et victorieux assauts à l'ardeur à chaque fois renouvelée (les grenouilles qui demandent un roi). Ajoutons à cela un soupçon de fatuité imbécile menant à la mort (le lion et le moucheron). Et puis la douloureuse déchéance d'une fin de vie, où la splendeur qui fut devient pour celui qu'elle a quitté l'objet de l'ire des médiocres et autres abêtis, qui pour leur part, ne la goûteront jamais (le lion devenu vieux).

Les grenouilles qui demandent un roi (c) collection Starewitch

L'adaptation de cinq fables de La Fontaine par Ladislas Starewitch
Lorsqu'il réalise sa première fable d'après La Fontaine en 1922, Ladislas Starewitch est un cinéaste de quarante ans, passé maître dans l'art de l'animation, et plus particulièrement dans la création et "la mise en vie" d'originales ciné-marionnettes. Mais la stupéfiante virtuosité (plus étonnante encore lorsque l'on prend conscience de la somme de travail que représente l'animation d'une seule scène à partir de personnages inanimés) n'est pourtant que l'une des facettes de son art, qui comporte également la totale maîtrise du langage cinématographique en son entier.
Son utilisation experte de l'échelle des plans (mise en valeur de l'orateur solitaire face à la foule de son public, au début des grenouilles), le soin apporté à la profondeur de champ et à la composition de l'image (scène de la rencontre des grenouilles avec le deuxième roi, d'une beauté saisissante), sa science du montage, qu'il veut toujours nerveux, et qui peut atteindre parfois une tension quasi-musicale, "à la russe" (voir l'incroyable prestation de l'orchestre dans la cigale), lui permettent toujours de conserver sa clarté à une narration d'un foisonnement oriental.
Il s'autorise en effet par rapport à La Fontaine, maintes digressions, (de la danse chaloupée des grenouilles avant un voyage en bateau au rat qui court après sa queue soudainement douée de vie), incorpore le flash-back (le lion devenu vieux), modernise la symbolique contenue dans les fables (mécanisation de la ville personnifiée par la voiture du rat de ville ou encore incorporation des médias photographiques et cinématographiques dans les grenouilles).
Cette imagination débridée jointe à la virtuosité joyeuse dont il fait preuve met au jour une pensée tour à tour profonde, drôle, légère, satirique ou tendre, fidèle en cela aux grands anciens dont il fait certainement parti. Le pari est gagné j'en suis sûr, de donner une adaptation nouvelle, "moderne" de ces histoires qui nous accompagnent inlassablement depuis les temps anciens, grâce aux mots et aussi aux images.

Le Lion devenu vieux (c) collection Starewitch


La Musique
Ce projet représente une très rare exception au principe de base qui régit ma démarche artistique, principe qui consiste à refuser systématiquement l'enregistrement d'une version musicale définitive pour un film muet. Je pense en effet que si le degré d'exigence dans le travail préparatoire (analyse du film, connaissance du réalisateur, du langage cinématographique, du genre...) est semblable, que l'on donne un ciné-concert ou que l'on enregistre la musique pour un film muet, c'est la place du spectateur qui n'est pas la même.
Car tout ciné-concertiste consciencieux est amené à intégrer les réactions du public (ses rires, ses silences et ses diverses réactions) dans l'accompagnement musical qu'il propose. C'est pour cela d'ailleurs que réflexion et travail préparatoire se doivent d'être si solides, afin que les réactions de ce public puissent enrichir l'interprétation (forcément subjective) sans toutefois la dénaturer. Ajoutons à cela que chaque improvisation musicale est par définition unique, et l'on concevra facilement l'important espace de liberté que laisse le ciné-concert au spectateur, contrairement à la reproduction mécanique de l'enregistrement.
La découverte émerveillée des films de Ladislas Starewitch, il y a plus de dix, sans remettre en question cette nécessaire collaboration avec le public pour nourrir la musique, m'a immédiatement transporté dans un besoin d'écriture pour l'image. Sensible depuis toujours aux récits allégoriques, j'ai certainement senti la possibilité de cette "autre manière de dire musicale" sur une oeuvre elle-même amenée à être constamment réadaptée : la musique enregistrée (et donc fixée) n'étant elle aussi qu'une étape de plus et non une fin en soi. D'autant que les trois fables que j'ai mises en muisique en 2010 (le rat, les grenouilles et la cigale) côtoient les deux lions, sonorisés eux par Hartman et Devaux en 1932.

Je voudrais pour conclure saluer les musiciens interprètes qui par leur implication et leur talent ont rendu possible cette aventure : le pianiste Mauro Coceano, la chanteuse Claire Lavandier, la flûtiste Hiroko Sugiura, le batteur Aidje Tafial, sans oublier bien sûr notre ingénieur du son Nicolas Delbart.

Je vous souhaite de très belles séances

Jacques Cambra

Contrat Creative Commons

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mercredi 5 janvier 2011

Hitchcock : The Black Mail (Chantage), film muet

Angleterre – 1929 - 84' - Avec Anny Ondra, John Longden
Prochain Ciné Concert le 22 septembre 2011 à Meaux (77) Agenda ici

« C'était une histoire assez simple, probablement, je me servais de la forme du Lodger; je montrais dans la première bobine la technique d'une arrestation » (à François Truffaut lors des entretiens de 1966)


Résumé
Avec Chantage, Hitchcock met en scène l'histoire d'Alice White et Franck Weber, un jeune couple tonique, promis à une belle histoire. Mais rapidement, la légèreté coupable de la femme provoque un événement terrible, que les deux jeunes gens, soumis à un affreux chantage, vont décider de partager dans le plus grand secret...


Bande Annonce Originale


Le Film
Dans cette adaptation d'une pièce de Charles Bennett, Hitchcock, à travers l'implacable traitement cinématographique qu'il met en place, évoque la fascinante question du secret qui peut amener un couple à fusionner, non par une amoureuse complicité, mais plutôt dans une complicité au strict sens policier du terme.
La virtuosité de la mise en scène fait apparaître la froide et de plus en pesante logique qui fait s'enchainer les évènements :
- par le jeu du montage, de l'utilisation des gros plans, des mouvements de la caméra, Hitchcock, dès la scène d'ouverture, nous fait partager (sans l'apport du moindre carton explicatif) l'épaisse sensation de la traque, (dont on ressent d'ailleurs la tension nerveuse aussi bien côté des policiers que côté du malfrat : le spectateur se sent tour à tour chasseur et gibier)
- la scène du crime, tournée dans un long plan-séquence, nous inquiète non par ce qu'elle montre mais plutôt par ce qu'elle révèle en ne le montrant pas : l'instant où une vie bascule dans l'ombre, après un jeu qui aurait pu demeurer dans la simple frivolité.
- Le montage parallèle final, entre la poursuite dans le (faux et magnifiquement reconstitué) British Museum et les plans d'Alice, rend presque palpable la culpabilité de la jeune femme, qui est inéluctablement associée par ce procédé cinématographique à la terreur du fuyard.  

Dans ce film, Hitchcock est d'ailleurs magnifiquement servi par l'actrice tchèque Anny Ondra, dont la pétulance me fait penser à une flapper (blonde), - les flappers étaient ces jeunes femmes modernes des années 20 dont les représentantes les plus célèbres au cinéma furent les érotiques actrices (brunes) Louise Brooks ou Clara Bow -.   Cette deuxième collaboration du réalisateur et de l'actrice (après the Manxman, réalisé juste avant) n'est pas pour rien dans l’envoûtante progression de la situation, qui évolue d'une piquante légèreté à l'atmosphère la plus sombre.

Dernier tour de force, et non des moindres, Chantage, (tourné en 1929, année charnière entre cinéma muet et sonore) soutient l'incroyable gageure d'être à la fois le dernier film muet et le premier film parlant du réalisateur. En effet,  Hitchcock fait preuve sur ce projet d'une clairvoyance peu commune : à peine le film commencé, il se doute qu'il va devoir en réaliser une seconde version, sonore celle-ci. Fort de cette intuition, il ne se contente pas de simplement "assurer le coup", mais grâce à une méthode de tournage originale et parfaitement maîtrisée, il réalise deux oeuvres parfaitement achevées, sur le même sujet, avec les mêmes acteurs. Les plans qu'il tourne une deuxième fois pour la version sonore contiennent de bluffantes trouvailles sonores : autour de l'arme du crime par exemple, ou de la découverte de la victime. Et ces trouvailles n'entament en rien la qualité de la version muette. (Je ne peux d'ailleurs pas m'empêcher de souligner qu'une des différences entre les deux versions consiste en la présence ou l'absence d'un piano de concert, comme complice du crime...
Ne nous privons donc surtout pas de savourer les deux versions de ce beau film !


Jacques Cambra