Pages

lundi 28 février 2011

Hitchcock : THE LODGER : A Story of The London Fog (Les Cheveux d’or) Film Muet

par Luc Lavacherie

LES DATES : Ciné Concerts les 25 mars 2011 à Châteauroux, le 8 avril 2011 à Selles sur Cher,
le mardi 24 mai à l'Archipel (Paris) (soirée cinéma club des anciens)
Tous les renseignements sur l'agenda



Bande annonce Fos'Note : Texte de Luc Lavacherie, Voix de Yves Jallais, Musique de Jacques Cambra
Photos du film : Carlotta / Photo Jacques Cambra : Régis d'Audeville

un film muet d’Alfred Hitchcock – 1926 – Grande Bretagne – 1h40 - Copie Carlotta Films


avec 
Ivor Novello ( le locataire), Marie Ault (Mrs Bunting – la propriétaire), Arthur Chesney (Mr Bunting – le propriétaire), June (Daisy Bunting – la fille des propriétaires) et Malcom Keen (Joe Betts – policier, fiancé de Daisy).
Scénario : Eliot Stannard et Alfred Hitchcock d’après le roman éponyme de Marie Belloc-Lowndes inspiré du personnage de Jack l’éventreur.


Résumé de l’intrigue : rendez-vous sur la bande-annonce


L’énigme du regard (qui tue)

The Lodger Alfred Hitchcock
Le film commence fort. La séquence d’ouverture installe en quelques plans une éblouissante mécanique dans laquelle il est très difficile de ne pas se laisser emporter. Tout commence par un meurtre qu’Hitchcock choisit de représenter sans montrer les détails de l’acte lui-même mais en se contentant de cadrer le visage horrifié de la victime en gros plan. Narrativement, ceci lui permet bien sûr d’éviter de fournir aux spectateurs des indices visuels concrets sur l’identité du criminel (tous les indices dont nous disposerons nous arriveront par le biais d’une médiation.) Habile façon pour Hitchcock d’aiguiser notre curiosité pour mieux ensuite nous faire suivre les vraies et fausses pistes qu’il aura pour nous préalablement tracées. Bien sûr. Et pourtant, dès cette première image, l’ambition d’Hitchcock semble beaucoup plus perverse encore que celle, presque innocente, consistant à nous embarquer dans les rebondissements d’une histoire policière. Plutôt que de nous laisser dans le rôle confortable du témoin naïf, il s’agira plutôt pour lui de carrément nous impliquer dans cette affaire et ceci, en superposant habilement cette banale histoire de meurtres à une complexe histoire de regards. Jack l’éventreur, d’accord, c’est une histoire palpitante, la mettre en image de façon captivante et originale, c’est bien, mais arriver à y compromettre le regard de chaque spectateur, le rendre complice de tout ce qui s’y trame, c’est encore mieux. Alors comment faire concrètement ? Et bien justement, en filmant d’abord le meurtre comme s’il ne se perpétrait que par la seule puissance du regard de l’assassin. Jamais la victime n’apparaîtra violentée mais sera juste vue et ce regard porté sur elle suffira à signifier sa mort imminente. Or dans la mesure où, ici, le spectateur voit ce que voit l’assassin, il est par cette première image, déjà compromis. Ceci explique pourquoi, bien que sa durée soit assez courte, Hitchcock a beaucoup réfléchi à ce plan1. Il se devait de contenir l’énigme d’un regard qui tue tout ce qu’il désire. Ce que le réalisateur formalise magnifiquement en filmant la victime dans un saisissant effet de contre-jour : tandis que l’écran est nimbé d’une vive lumière faisant scintiller les boucles blondes de la jeune femme, un trou noir vient tacher l’image en son centre (sa bouche hurlante). Comme si l’irradiant regard qui fait briller ses atours de mille feux, la transperçait dans un même élan.

The Lodger Alfred Hitchcock
Cette contamination de l’œil du spectateur par le point de vue de l’assassin vient confirmer ce que le « Vengeur » semble s’acharner à régulièrement rappeler aux londoniens : il n’y a pas de regard pur, pas de regard extérieur à l’action, pas de regard qui, dans la mesure où il désire, ne distorde son objet. C’est là la vraie information de la séquence d’ouverture de The Lodger, le crime visuel considéré comme un péché originel et dont Hitchcock va prendre soin de méticuleusement filmer les différentes étapes de sa propagation auprès de la population. La police arrive d’abord sur les lieux, questionne. Les passants s’échauffent, avancent des hypothèses, dressent un profil probable de l’assassin (grand manteau, chapeau noir, foulard sur le bas du visage, seuls ses yeux sont à découvert : « Le Vengeur » est un regard qui rôde.) Déjà une vieille dame croit reconnaître l’assassin dans le reflet déformé d’une vitrine, mais ce n’est finalement qu’un plaisantin qui s’amuse à le singer. Les gens s’enflamment. Les journalistes font circuler la mauvaise nouvelle : « Murder ! Wet from the press ! ». Les radios prennent le relais : « Murder ! Hot over the aerial ! » Sublime séquence où le regard impur du Vengeur, au fur et à mesure que la presse s’en fait l’écho, semble se disséminer sur la ville en même temps que de prendre forme à la surface visible du film (fameux plan montrant les portes arrières de la fourgonnette d’un quotidien en train de faire sa tournée. Les deux fenêtres ovales situées en haut des portes laissent voir les têtes du conducteur et de son équipier et donnent l’impression de figurer deux yeux.) Derrière l’apparente traque d’un criminel en série, se cache une autre enquête. Celle qu’Hitchcock a engagée pour mettre à jour notre propre désir. On est en 1926 et son cinéma est déjà en train de nous regarder. Le face à face ne fait que commencer…


Une promenade avec Madame Hitchcock


Ivor Novello & June
Quand il débute en 1926 le tournage de The Lodger, Alfred Hitchcock n’a que vingt-six ans. C’est un jeune homme qui, bien que pouvant déjà se prévaloir d’une certaine expérience cinématographique, a encore tout à prouver aux yeux du public et des professionnels du cinéma. Ses deux premières réalisations, The Pleasure Garden (1925) et The Mountain Eagle (1926) furent des échecs commerciaux et si son producteur, Michael Balcon, lui renouvelle sa confiance pour The Lodger, il ne faut pas douter qu’une certaine pression devait peser sur les épaules d’Hitchcock. A ce moment précis de sa carrière, comme le précisent Chabrol et Rohmer dans le livre qu'ils consacrent au maître : « Il s’agit de frapper un grand coup et de montrer qu’ « on » est un Monsieur avec lequel l’industrie doit compter. »2 Ses atouts ? Une vedette de charme dans le rôle titre, en la personne d’Ivor Novello, chanteur très populaire auprès des midinettes de l’époque ; une histoire connue de tous, inspirée des terribles méfaits de Jack L’éventreur et enfin une nouvelle conception de la mise en scène, récemment mûrie lors de son séjour en Allemagne où, sur les plateaux de la U.F.A, il a pu voir travailler Murnau et quelques autres cinéastes expressionnistes.
Aujourd’hui, à nos yeux entachés par une vision plus globale de l’œuvre d’Hitchcock, il peut paraître évident que tous les éléments étaient réunis pour inévitablement donner naissance au premier vrai grand film hitchcockien (ce qui fut le cas). Les producteurs de l’époque, qui n’avaient, eux, et pour cause, pas eu la chance de voir les chefs- d’œuvre que seront par exemple Les 39 marches (1935) ou Une femme disparaît (1938) ne virent pas The Lodger du même œil et se montrèrent d’abord complètement insensibles à la grande virtuosité qu’y déploie Hitchcock3.
Dans un passage significatif de ses fameux entretiens avec François Truffaut, Alfred Hitchcock raconte comment le film une fois terminé fut reçu par les producteurs : « (…) le grand patron est venu au studio pour voir le film. Il est arrivé à deux heures et demie. Mme Hitchcock et moi, nous n’avons pas voulu attendre au studio de connaître le résultat, nous sommes partis dans les rues de Londres et nous avons marché pendant plus d’une heure. Nous espérions que cette promenade aurait une fin heureuse et que tout le monde serait radieux. On m’a dit : « le grand patron trouve lui aussi que le film est lamentable.» Alors ils ont mis le film de côté et ils ont annulé les locations qui avaient été faites sur la réputation de Novello »4


Il y a quelque chose de touchant à entendre cette anecdote de l’artiste qui, alors qu’il vient d’inventer un style de mise en scène qui finira par révolutionner le cinéma, s’éclipse comme un enfant qui viendrait de commettre une grosse bêtise. Cette promenade avec Mme Hitchcock fait d’ailleurs étrangement écho à celle qu’on peut voir dans The Lodger, où, alors que tout semble joué, le locataire et Daisy s’enfuient dans la ville pour se retrouver sur une petite place et aller se réchauffer dans un pub. Elle représente ce moment de calme qui survient parfois au cœur de la tempête et durant lequel on se prend à espérer que tout finira bien. Telle était la situation du jeune Hitchcock au premier tournant de sa carrière, en pleine tempête créative, osant poser les bases d’une nouvelle aventure stylistique, il ne pouvait pour continuer que s’en remettre à la clémence de ses producteurs. On sait comment tout cela finit : « Quelques mois plus tard, ils (les producteurs) ont revu le film et ont voulu faire des changements. J’ai accepté d’en effectuer deux, et dès que le film a été projeté, il a été acclamé et considéré comme le meilleur film britannique réalisé à ce jour. »5 Ce jour-là, un jeune homme, timide en apparence, venait de s’installer au sein dans la grande pension de famille du cinéma anglais et ce, pour un bout de temps, ayant bien compris qu’à l’avenir ses plus grandes idées de mises en scène ne pourront s’imposer qu’à condition d’intégrer ce qui allait devenir le plus grand allié d’Hitchcock : le regard du public.


1 « J’ai pris une plaque de verre. J’ai placé la tête de la fille sur le verre, j’ai étalé ses cheveux jusqu’à ce que cela remplisse le cadre, puis je l’ai éclairée en dessous en sorte qu’on soit frappé par sa blondeur. » Ibid p.33
2 Eric Rohmer et Claude Chabrol, HITCHCOCK, Editions Universitaires, 1957
3 Virtuosité que Rohmer et Chabrol n’hésitent pas à reprocher à Hitchcock qui selon eux : « (…) ne va pas sans un certain cynisme. Elle trahit cet esprit de mystification qu’Hitchcock ne sublimera que beaucoup plus tard, et qui entache certains de ses films anglais. » Ibid p16
4 HITCHCOCK/TRUFFAUT, Ramsay, 1985, p.36
5 Ibid, p.36


Contrat Creative Commons
This création is licensed under a Creative Commons Paternité 2.0 France License.