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jeudi 14 juillet 2011

Ozu : Gosses de Tokyo (Film muet en Ciné Concert)

par Jacques Cambra

Ciné Concerts les 7 mars à Douai, 8 mars à Arras, 9 mars à Berck-sur-Mer, 10 mars à St-Pol-Ternoise,
13 mai à Livry-Gargan (en duo avec Hiroko Sugiura, flûte)
Prochaine date : 4 août à Die
accompagnement en petite formation
dans le cadre de LA RESIDENCE AU PESTEL DE DIE -26150
Tous les renseignements sur l'agenda (voir au 4 août)

Gosses de Tokyo de Yasujiô Ozu / Photo : Carlotta films
Tokkan Kozzo est Keiji (le fils cadet)
Hideo Sugawara est Roïchi (le fils ainé)
Tatsuo Saito est Yochii (le père) 


Gosses de Tokyo de Yasujirô Ozu 
(Japon - 1932 - 90') avec Hideo Sugawara (Roïchi, le fils ainé), Tokkan Kozo (Keiji, le fils cadet), Tatsuo Saito (Yochii, le père), Mitsuko Yoshikawa (la mère)...

Résumé du film :
Dans le Japon dépressif des années trente, une famille modèle déménage en banlieue de Tokyo, afin que le père, petit employé, se rapproche des têtes dirigeantes de l'entreprise qui l'emploie. Cette migration n'est pas sans effet sur les deux pétillants enfants, Roïchi l'ainé et Kozo le cadet, qui vont devoir parallèlement à leur père, se confronter à leur nouvel environnement, pas franchement accueillant dans un premier temps.
Malgré son apparent effacement, la mère affectueuse (et finalement omniprésente) permet de préserver la stabilité de cette famille dont les membres, adultes et enfants, sont soumis à la rude épreuve d'un nouveau quotidien à construire...


Gosses de Tokyo - Photo : Carlotta films



Gosses de Tokyo aujourd'hui...
Voir ou revoir Gosses de Tokyo, réalisé en 1932 par un réalisateur de 29 ans ayant déjà 23 films à son actif, amène une certitude : Ozu a réalisé là un chef d'oeuvre universel, que l'on se place d'un point de vue strictement cinématographique, ou que l'on élargisse ce point de vue à l'histoire des arts en général. Nul doute que ce film qui met en scène le quotidien d'une famille modeste aux prises avec son environnement social et culturel, fait partie des oeuvres ayant élevé le cinéma au rang de 7ème art.
Avec Gosses de Tokyo, Ozu nous offre à la fois,

Une peinture réaliste du Japon des années 1930, qui, à cette époque est un savant mélange de traditions séculaires et d'ouverture vers l'occident. Afin de mieux percevoir la valeur documentaire du film, (dont l'action est contemporaine au tournage), il n'est pas inutile de le resituer dans le contexte historique qui a abouti à ce Japon des années 30.
Vivant depuis le XVII ème siècle dans un total isolement diplomatique et fonctionnant selon un système féodal, "l'Empire du soleil levant" est brutalement pris à partie par une escadre américaine en 1853 et 1854, escadre lui sommant d'ouvrir les ports aux navires de commerce américains. Plutôt que se soumettre, le Japon va travailler à sa modernisation à marche forcée et connaître son "ère des Lumières" avec l'accession au trône de l'empereur de 15 ans Mutsuhito en 1867. C'est ainsi que le Japon devient le premier pays industrialisé non occidental (comme s'en apercevront les pays occidentaux lors de la défaite de la flotte russe en 1905). Ajoutons à cela la crise de 1929 et l'on aura une photographie assez précise de l'environnement social dans lequel évoluent les protagonistes de cette histoire.

Une analyse universelle de la place de l'individu dans la société, vue par le prisme de la famille
Comédie initiatique traitant de la transmission parents-enfants, Gosses de Tokyo est un véritable hymne à la tolérance où toute hiérarchie "vieux-jeunes" est absente : les enfants, par leur intransigeance et leur débrouillardise (ils se libèrent ingénieusement du joug du chef de bande qui les domine au début du film), révèlent la médiocrité de la condition des parents. Parallèlement, les parents élaborent un cadre où l'apprentissage de la nécessaire soumission à l'ordre établi n'annule pas la personnalité en construction des enfants ("je serai capitaine dit Ryoïchi", "pourquoi pas général, répond le père"). En mettant en avant le quotidien de ses personnages, Ozu nous renvoie à notre propre quotidien, quelque soit notre époque ou la culture de laquelle nous sommes issus : " Aussi parfaitement japonais soient-ils, les films d'Ozu sont en même temps universels. Je peux y retrouver toutes les familles, en provenance de tous les pays du monde, de même que mes parents, mon frère, et moi-même". Wim Wenders   



Une démonstration virtuose de la capacité du cinéma à atteindre "l'art total" par la puissance expressive du langage qui lui est propre.  
Avec Gosses de Tokyo, Ozu nous démontre de manière éclatante que la seule limite expressive de l'art cinématographique tient non pas au cinéma lui-même mais plutôt aux capacités expressives et techniques du cinéaste. Et en ce qui le concerne, le savoir faire est considérable et au service de l'immense richesse de son univers artistique.
Fortement influencé par le cinéma américain (il n'est pas rare de voir des affiches de films américains dans les décors de ses propres films), Ozu a visiblement réussi à intégrer cette "manière américaine", (théorisée par le soviétique Koulechov notamment), manière utilisant le montage, le gros plan, les plans courts, (scène d'ouverture du film par exemple) afin de dynamiser la narration. Il utilise également avec virtuosité et à propos "l'art de l'allusion rapide" chère à Lubitsch (la personnalité du père est toute entière exprimée en une courte scène où ce dernier fait ses extensions matinales en plein air... la cigarette aux lèvres !). Il se paye même le luxe de se servir à l'intérieur de son film (hommage suprême) , d'une séance de cinéma (organisée par le patron du père) comme élément déclencheur de la crise entre adultes et enfants, crise qui est le sujet central du film.   
Son impeccable direction d'acteurs va permettre à chacun, par la perfection de son jeu (qu'il tienne un rôle principal ou secondaire, qu'il fasse partie du cercle des adultes ou de celui des enfants) de donner vie à un personnage qui va servir d'archétype et faire exister cette société recréée par le réalisateur, société d'où le burlesque des situations issues du quotidien n'a rien à envier au slapstick américain. 

Si comme Victor Hugo, l'on considère que "le relatif est dans la science et le définitif dans l'art", alors Gosses de Tokyo peut être élevé, tout commele corbeau de H.G. Clouzot ou le Tabu de F.W. Murnau comme film définitif, et par là-même, film parfait. 






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