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jeudi 3 février 2011

Starewitch : Les Fables d'après La Fontaine - (Films muets sonorisés : Hartmann 1932 / Cambra 2010)

Le lion et le Moucheron (France - 1932)
Le lion devenu vieux (France - 1932)
(Musique originale : Hartmann et Devaux - 1932)

Les grenouilles qui demandent un roi (France - 1922)
Le rat de ville et le rat des champs (France - 1926)
La cigale et la fourmi (France - 1927)
(Musique originale : Jacques Cambra - 2010)

Sortie nationale (copies sonorisées) le 9 février 2011
(http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=57112.html)


Je serai pour ma part présent à la séance de 15h15 le samedi 12 février au cinéma Le Balzac : 
http://www.cinemabalzac.com/public/index/index.php

Bande annonce réalisée par François Martin & Béatrice-Léona Martin Starewitch
Musique originale : Jacques Cambra

"Une autre manière de dire"
Existe-t'il plus belles histoires que celles qui, inventées il y a bien longtemps par on ne sait plus qui, rejaillissent à chacune de leur nouvelle adaptation dans l'effrontée permanence de leur actualité ?
Commencées dans le monde des anciens, renouvelées par Esope le grec, Phèdre le romain ou La Fontaine le français, (et bien d'autres, moins amoureusement servis par la postérité), elles nous parlent d'amitiés improbables et pourtant indestructibles (le rat de ville et le rat des champs). Elles nous racontent aussi la dramatique incompréhension entre des êtres aux univers trop différents, et dont la punition consiste finalement en une cohabitation obligée, jusqu'à ce que mort s'ensuive... (la cigale et la fourmi). Elles mettent des mots et des images sur l'incommensurable, l'insurpassable, l'étourdissante bêtise, dont les sommets (paraissant pourtant hors de notre portée) sont victimes de nos récurrents et victorieux assauts à l'ardeur à chaque fois renouvelée (les grenouilles qui demandent un roi). Ajoutons à cela un soupçon de fatuité imbécile menant à la mort (le lion et le moucheron). Et puis la douloureuse déchéance d'une fin de vie, où la splendeur qui fut devient pour celui qu'elle a quitté l'objet de l'ire des médiocres et autres abêtis, qui pour leur part, ne la goûteront jamais (le lion devenu vieux).

Les grenouilles qui demandent un roi (c) collection Starewitch

L'adaptation de cinq fables de La Fontaine par Ladislas Starewitch
Lorsqu'il réalise sa première fable d'après La Fontaine en 1922, Ladislas Starewitch est un cinéaste de quarante ans, passé maître dans l'art de l'animation, et plus particulièrement dans la création et "la mise en vie" d'originales ciné-marionnettes. Mais la stupéfiante virtuosité (plus étonnante encore lorsque l'on prend conscience de la somme de travail que représente l'animation d'une seule scène à partir de personnages inanimés) n'est pourtant que l'une des facettes de son art, qui comporte également la totale maîtrise du langage cinématographique en son entier.
Son utilisation experte de l'échelle des plans (mise en valeur de l'orateur solitaire face à la foule de son public, au début des grenouilles), le soin apporté à la profondeur de champ et à la composition de l'image (scène de la rencontre des grenouilles avec le deuxième roi, d'une beauté saisissante), sa science du montage, qu'il veut toujours nerveux, et qui peut atteindre parfois une tension quasi-musicale, "à la russe" (voir l'incroyable prestation de l'orchestre dans la cigale), lui permettent toujours de conserver sa clarté à une narration d'un foisonnement oriental.
Il s'autorise en effet par rapport à La Fontaine, maintes digressions, (de la danse chaloupée des grenouilles avant un voyage en bateau au rat qui court après sa queue soudainement douée de vie), incorpore le flash-back (le lion devenu vieux), modernise la symbolique contenue dans les fables (mécanisation de la ville personnifiée par la voiture du rat de ville ou encore incorporation des médias photographiques et cinématographiques dans les grenouilles).
Cette imagination débridée jointe à la virtuosité joyeuse dont il fait preuve met au jour une pensée tour à tour profonde, drôle, légère, satirique ou tendre, fidèle en cela aux grands anciens dont il fait certainement parti. Le pari est gagné j'en suis sûr, de donner une adaptation nouvelle, "moderne" de ces histoires qui nous accompagnent inlassablement depuis les temps anciens, grâce aux mots et aussi aux images.

Le Lion devenu vieux (c) collection Starewitch


La Musique
Ce projet représente une très rare exception au principe de base qui régit ma démarche artistique, principe qui consiste à refuser systématiquement l'enregistrement d'une version musicale définitive pour un film muet. Je pense en effet que si le degré d'exigence dans le travail préparatoire (analyse du film, connaissance du réalisateur, du langage cinématographique, du genre...) est semblable, que l'on donne un ciné-concert ou que l'on enregistre la musique pour un film muet, c'est la place du spectateur qui n'est pas la même.
Car tout ciné-concertiste consciencieux est amené à intégrer les réactions du public (ses rires, ses silences et ses diverses réactions) dans l'accompagnement musical qu'il propose. C'est pour cela d'ailleurs que réflexion et travail préparatoire se doivent d'être si solides, afin que les réactions de ce public puissent enrichir l'interprétation (forcément subjective) sans toutefois la dénaturer. Ajoutons à cela que chaque improvisation musicale est par définition unique, et l'on concevra facilement l'important espace de liberté que laisse le ciné-concert au spectateur, contrairement à la reproduction mécanique de l'enregistrement.
La découverte émerveillée des films de Ladislas Starewitch, il y a plus de dix, sans remettre en question cette nécessaire collaboration avec le public pour nourrir la musique, m'a immédiatement transporté dans un besoin d'écriture pour l'image. Sensible depuis toujours aux récits allégoriques, j'ai certainement senti la possibilité de cette "autre manière de dire musicale" sur une oeuvre elle-même amenée à être constamment réadaptée : la musique enregistrée (et donc fixée) n'étant elle aussi qu'une étape de plus et non une fin en soi. D'autant que les trois fables que j'ai mises en muisique en 2010 (le rat, les grenouilles et la cigale) côtoient les deux lions, sonorisés eux par Hartman et Devaux en 1932.

Je voudrais pour conclure saluer les musiciens interprètes qui par leur implication et leur talent ont rendu possible cette aventure : le pianiste Mauro Coceano, la chanteuse Claire Lavandier, la flûtiste Hiroko Sugiura, le batteur Aidje Tafial, sans oublier bien sûr notre ingénieur du son Nicolas Delbart.

Je vous souhaite de très belles séances

Jacques Cambra

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